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Sur la zad.

C’est la nuit, il fait froid. Nous arrivons enfin sur cette zone si particulière, tant fantasmé… Au bout d’un chemin bardé des haies vives propre au bocage, il y a cette ferme tout ce qu’il y a de plus banale qu’on nous a renseignée sur un dessin. Nous montons dans un énorme grenier aménagé en dortoir.

C’est l’effervescence. Durant ces premiers jours sur la zad, nous sommes ballotté·e·s de gauche à droite. Les zadistes préparent la grande fête du 10 février. Cette date a été choisie pour sonner la fin de la déclaration d’utilité publique et pour fêter la victoire de 50 ans de luttes maintenant que le projet d’aéroport a été abandonné par le gouvernement français. Nous sommes entouré·e·s de personnes venues de toute la France et d’Europe, afin de participer au montage de la fête. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes a cette capacité de mobiliser et exporter son enjeu local vers une critique globale de notre monde capitaliste.

Au milieu d’un champ, pas loin du lieu de vie Belle-Vue, il y a cette construction en bois qui nous intrigue. On se dirige vers elle. Les habitant·e·s, chez qui on logeait, s’activent à coups de marteaux et de vis tournées dans la chaire d’un mastodonte. Nous venions de trouver notre place dans les préparatifs. Depuis trois semaines, ces habitant·e·s mettent leur énergie dans la construction d’un énorme avion de bois voué à être brûlé. « Est-ce qu’on arrivera à le lever ? », dès le premier jour où nous nous attelons à la construction de l’avion, on pouvait percevoir un doute sur ce projet qui avait beaucoup de chance d’échouer. Mais les habitant·e·s continuent à y mettre toute leur énergie. Même si certains disent que c’est absurde de mettre tant de force dans la construction d’un avion qui doit être détruit, on préfère penser que c’est l’expression même de la détermination propre à ce mouvement, toujours prêt à se jeter corps et âme dans la réalisation d’un projet sans être sûr qu’il fonctionnera.

C’est finalement une démarche forte inspirante pour nos luttes : arriver à avancer malgré le manque de certitude, mettre de l’énergie sans savoir si cela portera ses fruits, ne pas se perdre dans des constats de type « à quoi ça sert ». Dépasser cette notion d’utilité, c’est faire corps avec une énergie transcendante que ni un projet vieux de 50 ans, ni l’état, ni les flics ne peuvent arrêter. C’est cette énergie si particulière qui a permis aux collectifs d’habitant·e·s de se relever quand l’avion a chuté de son support, c’est cette énergie qui a permis de gérer tant de problèmes collectivement en étant le plus possible attentifs aux sensibilités de chacun·e·s.

L’avion est finalement reconstruit. C’est l’heure de la pause, nous faisons tous·tes la file pour prendre une assiette et manger. Chaque personne se coupe une tranche sur la roue de fromage. Vient le tour d’une habitante de la ZAD qui, et c’est finalement prévisible, découpe plusieurs tranches pour n’en prendre qu’une seule. Ce geste peut paraître anodin, on pourrait même dire que c’est superflu d’en parler. Mais ce geste illustre pour nous la fracture qui existe entre la parole et l’acte dans nos milieux militants, entre les déclarations de nos Mouvements de s’affirmer de l’autogestion et de sa mise en pratique réelle. Le discours militant utilise parfois cette fracture comme moyen abstrait de déconstruction des différents systèmes de domination. Pourtant, on oublie d’agir contre ceux-ci dans la vie concrète avec des gestes qui disent beaucoup de choses sur notre vie collective. Le discours prend ici une forme déculpabilisante, il rejette nos capacités d’action sur le monde pour se réfugier dans des déclarations de fait.

Il y avait tellement à écrire et apprendre sur la ZAD. On aurait pu parler de la notion de commun, du fait que nourriture et argent restent encore des antagonistes ou encore que l’échange (non monétisé et sans recherche de profit) semble être la forme économique première de la société. Mais on a choisi de vous parler de personnes qui clouent des planches pour fabriquer un avion et d’une autre qui découpe du fromage d’une meule. C’est dans la vie et ses circonstances concrètes qu’on a trouvé la résistance à ce monde. Une résistance qui pour nous n’a rien à voir avec des choix individuels consuméristes faussement perçus comme un changement vers une société plus « durable ». Ici, c’est le choix collectif de faire une société en commun qui nous inspire. Ce sont ces gestes anodins qui sont ceux d’un lieu de lutte qui n’est pas porté uniquement sur la négation de ce monde, mais qui voit plus loin que celui-ci pour en créer un nouveau qui n’en a que faire de l’ancien.

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