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DE LA RÉACTION ÉMOTIVE À LA CONSTRUCTION D’UNE VAGUE FÉMINISTE MONDIALE

PETITE LEÇON AVEC LE COLLECTIF ARGENTIN «NI UNA MENOS»

Le 6 novembre dernier, Lucia Cavallero et Véronica Gago de Ni Una Menos (Pas Une de Moins) Argentine étaient invitées par le Collectif 8 Mars, et le groupe féministe Les Macrales, pour venir présenter le fonctionnement de leur collectif et partager leur expérience. L’occasion pour nous de comprendre et de s’inspirer d’une mobilisation nationale qui est devenue un mouvement féministe international.

Luci et Véronica sont toutes deux travailleuses à l’université de Buenos Aires, l’une comme chercheuse, l’autre comme professeure. Elles se présentent en tant que travailleuses précaires, bien qu’elles reconnaissent que leur précarité est relative comparativement à beaucoup d’autres. La situation économique en Argentine (diminution brutale des salaires, augmentation importante des prix des services de base, des aliments, des médicaments) entraîne une hyper précarisation d’une large partie de la population, notamment féminine.

Suite à une série de féminicides à travers le pays, des femmes appellent à une marche vers le parlement argentin pour dénoncer la situation alarmante de violences qu’elles subissent.Le collectif «Ni Una Menos» se crée en 2015. Ces meurtres ont un retentissement médiatique important et les réseaux sociaux suivent. Le hashtag #niunamenos devient rapidement viral et plus de 400 000 personnes descendent dans les rues le 03 juin 2015.
Rapidement, cette mobilisation de masse amène une déstabilisation de la vie politique locale : il n’est plus possible pour les pouvoirs en place de regarder ailleurs, un véritable questionnement politique voit le jour. Il existait déjà une base de mobilisation sur des sujets liés aux féminismes en Argentine. Depuis 33 ans, les rencontres plurinationales de femmes lesbiennes et trans sont organisées et le mouvement pour un avortement légal, sûre et gratuit avait déjà rassemblé de nombreuses femmes, en plus d’autres mobilisations.

L’appel de Ni Una Menos a permis de massifier cette base de mobilisation, en permettant notamment aux femmes qui n’étaient pas organisées de s’impliquer.

Ce collectif, très hétérogène, a permis de créer des espaces de rencontres féministes, transversales, autonomes et apartisanes. Après avoir vu 400 000 personnes prendre la rue pour crier leur indignation, le collectif doit amener de la continuité. Lors de la réflexion sur comment organiser la prochaine manifestation (celle de 2016), une dispute éclate au sein du collectif. Pour régler cela, un appel large à rejoindre des assemblées est envoyé aux collectifs féministes, aux organisations politiques, syndicales et à toutes les personnes déjà organisées pour créer la suite de la mobilisation.

En 2016, la mobilisation reprend de l’ampleur et le message Vivas Nos Queremos (nous resterons vivantes) s’ajoute au désormais célèbre Ni Una Menos, tout en préservant comme objectif la lutte contre les féminicides. Une énorme manifestation est organisée. Les mouvements féministes se portent bien, 80 000 personnes se joignent aux rencontres plurinationales des femmes en 2016. Lors de ces rencontres, les femmes apprennent le féminicide cruel de Lucia Perez qui sera relayé dans la presse et les médias d’une manière très banale.

Lors d’une assemblée, pour dépasser l’hommage et l’expression de leur colère, les femmes décident de se mettre en grève pour lutter activement et plus simplement, se mobiliser. La décision est prise de convoquer, en seulement une semaine, une grève des femmes. Grâce aux contacts développés avec différents collectifs dans la région, 15 pays d’Amérique latine, mais aussi des femmes migrantes aux USA, rejoignent et partagent l’appel à la grève. Les syndicats sont pris de cours par la rapidité de la mobilisation, mais ils décident quand même d’aider logistiquement et de permettre aux femmes de se déclarer en grève.

Pendant une semaine, les femmes du collectif ont travaillé à mettre en contact les travailleuses avec les femmes évoluant dans l’économie informelle et populaire, pour les inclure dans le mouvement féministe, croiser les femmes d’horizons différents, augmenter la capacité de mobilisation, mais aussi d’interlocution. Parler de grève permet aussi de parler d’une arme de lutte que de nombreuses femmes connaissaient déjà sans être nécessairement dans les mouvements féministes.

Le mouvement prend alors une ampleur internationale, notamment en Italie avec Non Una Di Meno. Cette reprise de la mobilisation permet de tisser des liens internationaux, un appel international à une grève des femmes le 8 mars est lancé en 2017. Le travail est cette fois-ci plus délicat avec les syndicats, ces derniers ne voulaient pas se voir déposséder de « leur » outil de lutte, historiquement un outil du mouvement ouvrier, pas du mouvement féministe. Les femmes ont donc commencé à travailler à l’intérieur des syndicats, à pousser au sein des structures pour faire suivre l’appel à la grève. L’objectif était de faire bouger les lignes dans tous les espaces politiques.

En janvier 2017, un communiqué d’appel aux femmes à la grève sort, il est partagé plus que largement. Réunir des jeunes, des moins jeunes, des gens organisés dans des structures politiques, des syndicats, des gens qui ne l’étaient pas, était une véritable victoire pour le mouvement. L’objectif de créer des espaces politiques était atteint. En organisant des assemblées dans les lieux où les femmes se trouvaient, le mouvement a permis à chaque femme de trouver sa place dans la grève.

Cet appel massif dans tous les secteurs a permis de diversifier les techniques de grève. Par exemple, les femmes paysannes en Uruguay ont voulu faire grève contre les produits agrotoxiques, elles étaient directement concernées par les impacts négatifs des intrants chimiques. Les femmes de l’économie informelle, dans les écoles, les mères de mai qui luttent pour les droits humains, toutes ont pu s’approprier l’appel à la grève pour créer de nouvelles manières de faire grève. Cela a permis de mettre en lumière qu’il n’existait pas seulement le travail formel, mais aussi le travail reproductif, informel et paysan.

En prenant en compte toutes les formes de travail accompli par les femmes, on a pu assister en Argentine et ailleurs dans le monde à une diversification des revendications et des tactiques de grève.

Le collectif Ni Una Menos a dû s’adapter et reconnaître qu’il devenait un véritable mouvement. Un gros travail a donc été engagé sur l’horizontalité de sa structure. Elle n’est pas fixe, formelle, traditionnelle. En Argentine, pour contrer une organisation trop formelle, le mouvement s’est organisé localement : quand il y avait un conflit dans un lieu de travail, en lien avec la place des femmes, le mouvement permettait à ces dernières de se structurer autour de la question féministe dans cet espace.

Ce mouvement n’est pas juste une mobilisation de masse d’une journée de grève, mais un véritable processus politique. Le mode d’organisation choisi pour la suite du mouvement de grève s’est imposé pour son rôle d’accumulation et de multiplications de forces, de luttes locales. Dans les usines, dans les zones de territoires en lutte, dans les campagnes, dans les quartiers, des assemblées sont organisées chaque fois que c’est nécessaire, de manière autonome, toute l’année, en s’appuyant sur les appels à la grève annuels. Cette forme d’organisation a par exemple permis à des femmes licenciées d’une usine de créer « Pas une travailleuse en moins », et au mouvement indigène de lancer «Pas un mapuche de moins ».

L’accumulation de force prime sur l’accumulation de chiffre même si le mouvement Ni Una Menos a permis de rassembler jusqu’à 2 millions de femmes dans les rues quand le sénat argentin a rejeté la loi pour la légalisation de l’avortement. Cette multiplication des forces a aussi permis de créer une culture de la mobilisation féministe, là où se trouvent les femmes en lutte, tout au long de l’année.

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