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« Not standing for hypocritical bourgeoise culture ! » Rencontre avec Julie Peyrat de METAL

© Caroline Lessire

Julie Peyrat est comédienne et membre du collectif METAL, Mouvement des Étudiant·e·s Travailleu·ses des Arts en Lutte. De nombreux téléspectateurs·trices l’ont applaudi quand, en tant que représentante du collectif «Bezet La Monnaie Occupée», elle a quitté le plateau de l’émission QR de la RTBF après avoir interpellé le ministre Frank Vandenbroucke. Nous avons dans cette interview abordé la question de la précarité dans le secteur culturel mais aussi du rôle de l’art et du théâtre dans les luttes et la militance.

Tu peux nous présenter METAL et comment le collectif est né ?

METAL s’est constitué début 2018, lors d’une une AG qui a regroupé 150 étudiant·es de cinq écoles d’art. Le mouvement a d’abord commencé avec l’ESACT en lutte (École Supérieure d’Acteurs du Conservatoire Royal de Liège). L’ESACT est assez politisée, cela faisait presque partie de notre cursus. On a été encouragé par la direction et certains membres du corps pédagogique. Mais nous avions besoin de rassembler plus de monde, d’où la création de METAL. On est surtout des comédien·nes, on a du mal à rassembler dans les autres domaines artistiques. Le milieu du théâtre a plus l’habitude de la mobilisation collective, il me semble. Metal c’est pour Mouvement des Étudiant·e·s Travailleu·ses des Arts en Lutte. Nous nous considérons comme étudiant·e et travailleur·euse en même temps. Notre groupe a été très rapidement irrigué par les théories de Friot sur le salaire à vie même si on requestionne ça actuellement.

En 2017, on reçoit une mini-formation de la part d’anciennes élèves qui nous expliquent comment on va obtenir le statut d’artiste (qui n’en est pas un) et comment ça se passe à la sortie de l’école. Elles nous préviennent qu’une nouvelle note interprétative de l’Onem rend presque impossible l’ouverture du droit au chômage non dégressif. Il y avait déjà eu des réformes en 2014-2015, et là ce n’était plus possible. Des gens du secteur culturel se sont mobilisés contre cette note de l’Onem. En tant qu’étudiant·es, on voulait que notre parole soit aussi portée. On a taffé sur le sujet, on a apporté une lettre à Kris Peeters, on a parlé de nous aux Magrittes et d’autres actions. La note interprétative a été levée.

On avait ensuite envie de continuer un travail de fond, de recherche. Fin 2018, la dynamique s’est un peu épuisée. Mais avec la crise du Covid, des étudiant·es de l’INSAS ont repris l’outil METAL pour publier une carte blanche sur la situation catastrophique. Aujourd’hui, nous sommes un noyau de personnes qui s’organise avec différents groupes de travail et on essaye d’être présent dans différentes actions, surtout portées par d’autres collectifs. On a eu un peu le vent en poupe ces derniers temps et on propose de nouveau nos propres actions. Il y a moins d’étudiant·es maintenant, mais plus de travailleur·euses précaires. On essaye de continuer à réfléchir autour de la question du revenu, de ce que pourrait être une sécurité sociale de la culture, une société où la culture aurait une autre place. Tout en sachant, pour reprendre les mots d’Olivier Neveux (professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre, auteur du livre Contre le théâtre politique) qu’il serait « moins chimérique d’essayer de changer ce monde que de le supplier de bien vouloir considérer l’art comme essentiel« . On essaye de militer et de réfléchir à des changements de paradigme plutôt que juste demander un refinancement du secteur culturel. On essaye de se lier à des luttes intersectorielles et puis de manière générale avec des travailleur·euses précaires. On essaye de se rappeler d’où on vient : on est des jeunes issus d’écoles artistiques, c’est un secteur particulier, mais on veut rester en lien avec d’autres travailleur·euses discontinues. On se rend bien compte que l’on n’est pas les seuls dans cette situation, il y a une ubérisation générale du marché du travail. L’artiste en est un exemple.

Comment fonctionne le « statut artiste » et quelles sont les conditions de travail dans ce secteur ?

On est dans le régime général du chômage. À l’heure où on parle, pour prétendre au dit « statut d’artiste », tu dois prouver un certain nombre d’heures pour passer la première porte au chômage, comme le chômage classique. Mais une fois que c’est fait, tu dois prouver sur une courte période un certain nombre d’heures artistiques pour avoir le droit à un chômage non dégressif. Ensuite, tu as trois cachets annuels à déclarer pour le maintenir. À l’heure actuelle, il y a un vrai risque que ce statut soit beaucoup plus dur à maintenir qu’avant, et qu’il sorte du régime général, que l’on devienne une catégorie à part, en gros des indépendants, des autoentrepreneurs. Ce statut est censé être une protection sociale qui reconnait notre travail hors emploi. On est payé pour faire des représentations, des créations, mais il y a plein de trucs qui ne sont pas comptés. On travaille beaucoup de manière invisible. Il y a le travail artistique, mais aussi le travail administratif, les dossiers à rendre, rencontrer des gens, faire du réseau… Avoir des répétitions et des représentations payées, aujourd’hui, c’est déjà une chance. La majorité des artistes, c’est des gens qui travaillent au black dans l’Horeca. C’est aussi pour ça qu’on a été dans la dèche pendant le confinement.

On est précaire, mais nous sommes conscients que dans cette précarité on a des privilèges : comme le fait d’être majoritairement blanc, ou encore d’avoir l’arme de la langue. Ça, c’est du capital culturel et symbolique. Les artistes, on accepte quand même parfois de pleurer sur leur sort, beaucoup plus que sur d’autres précaires. Et puis, pour avoir les subsides qui nous permettraient de nous payer, il faut des partenaires, des théâtres, des institutions qui nous coproduisent. Sauf que pour avoir ces co-producteurs, il faut déjà avoir fait ses preuves, avoir eu des soutiens, et/ou sué des années à travailler gratuitement… Et tout le monde ne peut pas se permettre de travailler gratuitement. C’est un serpent qui se mord la queue. Cela reproduit un art bourgeois où toujours les mêmes sont soutenus. C’est un énorme problème pour la production culturelle et artistique.

Quelle est votre vision de l’art et du théâtre que vous voulez mettre en avant ?

La culture est financée via les institutions et les travailleur·euses on s’en bat un peu les steaks. Il y a aussi de la disparité entre les différentes institutions du secteur : des petites structures qui ne reçoivent aucune aide et des gros théâtres qui font des représentations en streaming. En fait, il y a un art bourgeois avec de grandes et belles intentions que l’on a beaucoup à cœur à refinancer. D’où le nom qu’on trouve très bien trouvé du collectif Bruxellois : « Not standing for hypocritical bourgeois culture ! » Il y a aussi cette dénomination de la Commune de Paris qu’on aime bien, qui parle d’une culture élitaire pour tous. Ça ne veut pas dire qu’on doit tous se mettre à faire des trucs démagos, en pensant faire à priori ce que le « peuple veut », mais qu’il faut financer une recherche artistique de qualité avec des exigences, qui demande du temps, mais qui est vraiment adressé à tous et pas pour une élite qui se regarde dans le miroir. On veut poser la question de quelle culture ? Comment ? Dans quelles conditions ? Quand on dit : pas de retour à l’anormal, c’est ça.

Les problèmes étaient là avant la crise et nous on ne veut pas la réouverture des théâtres ou des institutions culturelles sans une remise en question de la façon dont elles fonctionnent. Il y a des problèmes de représentativité, d’inclusivité. On demande des États généraux de la culture. Il faut maintenant utiliser de gros mots comme « socialisation des moyens de production ». Les théâtres appartiennent à des directeur·trices et des institutions qui chapeautent tout, à qui il faut montrer patte planche. Si on pouvait avoir des lieux de diffusion et de création à nous, on ferait l’art de manière différente. La jeunesse qui crée en ce moment, elle se pose ces questions-là. Dans notre discours du premier mai, on parlait de luxe communal, d’un monde où le quotidien et la beauté se réuniraient, où l’artiste serait le travailleur et le travailleur serait artiste. L’alternative existe déjà maintenant, elle est dans la sécurité sociale, dans les collectifs. Il faut partir de ce qui existe déjà.

Il y a aussi des questions plus esthétiques, artistiques. C’est quoi le théâtre que l’on voudrait ? Avec des personnes de Metal, on a créé une courte pièce pour l’occupation de la Monnaie et on l’a joué aussi à Liège pour le Premier mai. On est partis de l’histoire d’Iphigénie, une tragédie grecque à l’époque de la guerre de Troie. On voulait une écriture poétique, qui puisse proposer une parabole, une distanciation par rapport à la situation actuelle. Cela parle du sacrifice de la jeunesse, incarnée par Iphigénie qui est sacrifiée par son père Agamemnon. Sur son cadavre arrivent des mouches, c’est une sorte de foule que n’a rien à perdre. On avait envie de donner la parole à un « nous » inquiétant, une masse grouillante qui se nourrit des cadavres abandonnés.

Durant le confinement, le secteur culturel est rentré en lutte de manière assez forte, notamment avec des actions de désobéissance tu peux revenir pour nous sur cette séquence ?

Durant les Codeco, on ne parlait pas du secteur culturel, le mépris était répété et là tu te dis, ce n’est pas un hasard. Le gouvernement aurait pu juste calmer un peu les ardeurs, mais que dalle. Still Standing For Culture, c’est à la base des artistes qui voulait se mobiliser sur cette absence complète de considération. Ce n’était pas seulement pour la réouverture des Théâtres, en mode : « Laissez-nous nous exprimer ! », cela a été mal rapporté médiatiquement.

La revendication principale c’était un rééquilibrage des impacts de la crise sanitaire sur l’ensemble des secteurs. On a bien vu, au début du confinement, quand il fallait tout arrêter, qu’il était possible de remettre en question l’activité des multinationales, mais cela n’a pas du tout été envisagé. Les actions de désobéissances de Still Standing ont quand même réussi à faire du bruit.
Il y a eu des amendes, des risques pris. En mars, des lieux ont réouvert en intérieur. On a vu la police intervenir pour fermer un théâtre. Avec Metal, on a suivi le mouvement, en se disant qu’on restait quand même critique face au fait que ça ne parlait pas des inégalités internes au secteur, c’est une initiative qui se voulait rassembleuse. La médiatisation de Still Standing a permis d’avoir un regard général, de créer un lien avec la population qui n’est pas dans le secteur. Ils ont également soutenu Bezet la Monnaie occupée.

Il y a eu aussi plein d’autre groupe et actions du secteur culturel pour toucher les politiques et les médias. L’UPAC-T — L’Union de Professionnel·les des Arts et de la Création – pôle Travailleur·euse — a fait un travail de réflexion sur le statut artistes. On a fait partie du truc avec Metal et on a milité pour rester dans le régime général, maintenir la solidarité interprofessionnelle. Cette lutte du secteur culturel durant le confinement a permis d’avoir un peu d’aides. Tous les jeunes qui échappent au chômage, ceux qui sortent des écoles, ils et elles n’avaient plus d’Horeca, de petit contrat par-ci par-là, plus rien pour vivre. Ces mouvements de luttes ont permis que la question arrive au parlement : quelles sont les aides urgentes pour toutes les gens qui ne dépendent pas du chômage ?

Il y a aussi eu une série d’occupation de théâtres… tu étais active à la Monnaie ?

Il y a eu en France une vague d’occupation dans les théâtres avec des syndicats assez forts qui ont chapeauté le truc. On s’est demandé que faire ici. Le Théâtre National à Bruxelles a plus ou moins dit : venez occuper. On a proposé nos réflexions. L’occupation de la Monnaie est issue de l’occupation du National, il fallait qu’on occupe en officialisant que c’est une occupation de jeunes précaires du secteur artistique. Au niveau interne, on penche facilement vers la culpabilité de se dire qu’on est des artistes, qu’on est subsidiés, on n’est pas « les pires ». Quand tu regardes la situation des sans-papiers, qui on est pour demander plus ? Mais ça ne mène nulle part de penser ainsi. Notre lutte doit encore apprendre à se reconnaitre comme légitime.
Pour rentrer, il y a eu une négociation assez hard avec la direction de la Monnaie et là des délégués syndicaux nous ont pas mal aidés. On a eu un accès de deux semaines au hall de la Monnaie, on a dû donner nos cartes d’identité et on avait des bracelets pour rentrer. C’est une occupation qui reste dans le symbolique par rapport à d’autres occupations, de sans-papiers par exemple. L’occupation de la Monnaie était artistique. Notre taf, en tant que cultureux, c’est de faire entendre la voie des gens que l’on n’écoute pas. On a lancé une tribune journalière programmée, et avec des thématiques : sans papiers, queer, féministe, violences policières et d’autres journées sans thème… Il y a eu des choses assez fortes.

L’occupation de la Monnaie nous a montré que notre besoin d’un autre monde c’est aussi un besoin d’autres récits, un besoin d’inventer des choses, de faire marcher notre imagination. On a utilisé un énorme lapin géant de 10 m de long, il y a eu des trucs avec beaucoup de poésie, de l’art au service du politique. C’est hyper inspirant, qui fait du bien. Ce n’était pas de l’art pour l’art, coupé des réalités. Il y a des envies de réinventer un monde symbolique, mais aussi de faire converger les gens et pas que symboliquement ! A la fin des 2 semaines « autorisées » par la direction de la Monnaie, des personnes du collectif sont re-rentrées dans le théâtre pour dire qu’on en bougerait pas, puis ont été expulsé par les flics. Une négociation avec le directeur a été demandé, cela a abouti à une rencontre avec Sophie Wilmes, qu’on a mis en scène. Nous avons pu quand même continuer les tribunes devant le théâtre… Le 1er mai, une énorme poubelle a été dressée sur la place dans laquelle on était censé mettre tout ce que la société rejette. On l’a renversé et on a voulu aller jusque rue de la loi pour déposer la poubelle, on était 200.
Il y a besoin de créer du collectif. Avec METAL, on part du terrain, du petit. Dans le milieu du théâtre, et d’autres arts, ça fait partie des choses très stimulantes, un travail de recherche sans hiérarchie, sur l’horizontalité. On est une bonne partie à faire nos premières armes dans la militance, c’est trop bien. Il y a une nouvelle génération sans trop de modèles, mais nous essayons d’être conscients des histoires sociales et des luttes passées.

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