+32 02 513 79 13
4, Rue d’anderlecht 1000 Bruxelles
secretariat@joc.be

« Nous voulons avoir le choix », Rencontre avec Salma du collectif La 5e vague.

Ce samedi 16 janvier, Wallonie-Bruxelles Enseignement, qui organise l’enseignement officiel, a communiqué sur le fait que les signes convictionnels, dont le port du voile, étaient finalement autorisés dans leurs établissements d’enseignement supérieur et de promotion sociale. Le port du voile était jusque-là interdit et des jeunes musulmanes se sont mobilisées pour affirmer leurs droits aux études.  Peu avant ce retournement de situation, nous avons rencontré Salma, du collectif féministe, la 5e vague pour revenir sur la lutte qu’elles ont menée lors du mouvement Hijabis Fight Back.

Bonjour, Salma, peux-tu te présenter brièvement ?

Je suis bruxelloise et actuellement étudiante en sociologie. Je fais partie du collectif  La 5e Vague  avec lequel je milite depuis 2017. J’ai toujours eu une âme de militante et je me suis toujours battue pour ce qu’il me semblait être juste, du côté de celles qui sont oppressées. Je n’ai jamais voulu être du côté des oppresseurs. Nous avons initié, avec d’autres, le mouvement Hijabis Fight Back et organisé la manifestation qui a eu lieu au mois de juillet 2020. Ce mouvement a pu donner de la visibilité à notre collectif et surtout donner la parole aux femmes musulmanes qui portent le foulard, celles qui sont directement concernées aux questions liées à l’Islam et au port du voile.

Pour ceux et celles qui n’ont pas trop suivi la campagne Hijabis Fight Back, peux-tu nous expliquer en quoi la campagne consistait et en faire le bilan ?

Tout a commencé le 4 juin 2020, lorsque la Cour constitutionnelle a sorti un arrêt qui explique que les établissements de l’enseignement supérieur (les universités, les hautes écoles, les établissements de formation) ont le droit d’interdire les signes religieux et politiques. On sait tous quelle population est la cible de cet arrêt. Ce n’est pas le gars en costard avec sa cravate bleue MR, on sait que ce sont les femmes qui portent le foulard. C’est l’école bruxelloise Francisco Ferrer qui a demandé cet avis à la Cour face à avec un groupe d’étudiantes qui voulait porter le voile dans l’établissement.

J’étais dans ma chambre, le 12 juillet, j’étudiais pour mes examens et je découvre ça avec stupeur. J’ai lu l’avis de la Ville de Bruxelles qui se réjouissait de cet arrêt. J’étais tout simplement choquée, moi-même j’ai été discriminée à l’Université pour le port de mon foulard. Je me suis dit que d’autres étudiantes allaient vivre ça. Sous la colère, j’ai fait un post Instagram pour dénoncer l’arrêt. Mais ce n’était pas suffisant. Il fallait que je m’organise et que je contacte d’autres personnes pour lancer une manifestation, faire du bruit. Avec d’autres collectifs, on a organisé une campagne sur les réseaux sociaux ainsi que la manifestation. On a dû contacter la police, etc. La campagne a fait beaucoup de bruit, sur les réseaux et dans les médias, même à l’international. On ne s’y attendait pas.

Pour nous, il était important de faire entendre nos voix, celles des personnes concernées. La Cour constitutionnelle, c’est des hommes blancs d’un certain âge. Il y a peu de femmes dans le lot. Ce n’est pas du tout les personnes concernées. On ne s’attendait pas à ce que les choses bougent, on est réaliste. Plusieurs établissements scolaires ont quand même pris position : l’ULB, l’UCL, des hautes écoles d’un peu partout en Belgique. Elles ont communiqué sur le fait qu’elles étaient pour l’inclusivité de toutes, même si la réalité n’est pas toujours aussi belle. La ville de Gand a autorisé toutes ses écoles à laisser les jeunes filles porter le foulard. On ne s’attendait pas à tout ça. On est quand même contente que l’on parle du problème et que ce soit les personnes concernées qui aient lancé le mouvement.

Est-ce que la campagne continue ? Il y a l’enseignement supérieur, mais depuis plusieurs années déjà, le port du voile est interdit dans les écoles secondaires, dans des entreprises, des administrations publiques.

Hijabis Fight Back ne concerne pas seulement le cas de l’école Francisco Ferrer. C’est un mouvement de femmes qui portent le foulard et qui sont pour garder leurs foulards partout dans la société, à l’école, au travail, dans la rue. C’est un mouvement global si on peut dire ça comme ça. Nous voulons avoir le choix. Le choix d’étudier où on veut et pas juste dans les écoles où on nous accepte, le choix de travailler où on veut ; de trouver un logement. Quand on porte le foulard, on se fait interpeller, on se fait insulter, il y a un climat d’islamophobie. C’est difficile. Hijabis Fight Back, c’est un mouvement pour le choix, pour inclure les femmes qui portent le foulard dans la société, qu’elles soient au chômage, mères aux foyers, non valides, tout ce que l’on veut. On est là et on en fait partie de cette société.

Quelles étaient vos motivations en lançant le collectif féministe La 5e vague ?

J’ai commencé à militer avec un collectif d’étudiant·es musulman·es de Bruxelles qui voulait se battre contre les inégalités socio-économiques et raciales. On militait aussi contre les violences faites aux femmes, le sexisme, la misogynie et des choses plus spécifiques en tant que femmes musulmanes. Ce collectif était composé d’hommes et de femmes. Avec ma sœur, on a voulu travailler spécifiquement sur les questions féministes et on s’est un peu détaché du groupe d’étudiant pour créer un collectif féministe. On a différents objectifs. On veut éveiller les consciences, et plus particulièrement, éveiller les consciences des personnes concernées par nos combats : les femmes et les personnes racisées. On essaye aussi d’éveiller à l’anticapitalisme, mais de manière différente, de façons moins explicites. Éveiller les consciences, c’est déjà parler de nos problèmes : de la misogynie, du sexisme, du racisme. Déterminer ce qui est raciste, ce qui est sexiste. On veut aussi vulgariser tout ce qui est vocabulaire académique, tout le jargon sociologique, qui n’est pas du tout inclusif. Ce jargon s’adresse juste aux gens qui ont étudié les sciences sociales, il n’est adéquat et compréhensible que pour les personnes proches des sphères militantes. On travaille aussi avec les communautés auxquelles on appartient : les communautés de femmes, de personnes racisées, bruxelloises, etc. On s’adresse à toutes ces communautés-là pour que tout le monde ait les armes adéquates afin de naviguer dans la société et se défendre. Nos premiers objectifs, c’est vraiment conscientiser et donner des outils pour mieux vivre et ne plus survivre dans notre société.

D’où vient le nom du collectif ?

Le nom du collectif fait directement référence aux vagues féministes. On trouve que les précédentes vagues ne sont pas assez inclusives et ne s’intéressent pas à nos problèmes et à nos besoins en tant que femmes musulmanes racisées. On veut initier cette nouvelle vague et se battre sur plusieurs fronts. On a voulu ajouter notre grain de sel et montrer qu’un autre féminisme est possible. L’intersectionnalité de toutes nos identités n’est pas assez bien représentée, on veut mettre en avant la pluralité de nos identités : une militante musulmane va être présentée uniquement comme musulmane. On va lui poser uniquement des questions qu’à travers le prisme de son islamité. Nous voulons faire ressortir notre pluralité, dans ce que l’on partage, dans tout ce que l’on fait et ne pas être réduites à une seule chose.

Quels genres d’actions menez-vous concrètement ?

On aime bien travailler en petit groupe. On crée des espaces de paroles « safe ». On parle beaucoup de féminisme et de racisme dans les médias, on a l’impression que c’est un sujet que l’on peut aborder simplement, mais quand on a des personnes en face de nous, ce n’est pas si simple. C’est difficile de parler de racisme, d’accepter le fait qu’on a été victime de racisme ou de sexisme. Personne n’aime dire : je suis une victime. Il faut libérer la parole : tu as vécu ça, il faut arriver à l’accepter, d’autres personnes le vivent aussi et on peut apprendre l’une de l’autre. On essaye aussi de faire se rencontrer des groupes minoritaires et des personnes qui essayent d’être des alliées. Par exemple, dans la communauté musulmane, il y a les chiites et les sunnites. Le groupe chiite est une minorité dans la communauté musulmane et ils vivent des oppressions au jour le jour de la part de la communauté sunnite. Du coup, on essaye de conscientiser la communauté sunnite à ce qu’il se passe. Quand on discute tous ensemble, certaines personnes prennent conscience de ce problème. Dans la communauté musulmane, on ne parle pas beaucoup de ça. Cela a permis de libérer la parole des deux côtés.

La lutte des femmes musulmanes en Europe est surtout médiatisée pour sa posture sur le hijab. Est-ce que vous voulez mentionner d’autres politiques racistes et patriarcales que vous combattez ?

On est réduites à cette question du foulard, une musulmane qui porte le foulard c’est un foulard ambulant et c’est tout, c’est un groupe homogène sans nuance, rien ne compte d’autre que son foulard. La 5e vague est importante pour nous justement pour agir sur toutes les questions liées aux femmes : les violences, le sexisme, la misogynie. On part du vécu des femmes et aussi des hommes, c’est important qu’ils se sentent concernés. On veut aussi travailler avec des personnes issues des classes sociales popualires, qui ont encore moins de chance dans la société, surtout des personnes racisées. On veut un « monde meilleur », c’est un mot tout gentil, tout mignon. Mais c’est pour montrer qu’on ne veut pas se cantonner à la question du foulard. On veut se battre contre toutes les oppressions.

Souvent le féminisme musulman est vu comme « paradoxale », car comparé à la tradition féministe séculaire. Comment vous positionnez par rapport à ça ?

On nous dit souvent que musulmane et féministe, c’est une contradiction, une antonymie. Pour nous, être pour le droit des femmes, c’est être musulmane ; l’islam n’est pas patriarcal. Certaines personnes peuvent avoir une autre lecture, mais ce n’est pas la nôtre. L’islam se bat contre toutes les oppressions, je ne vois pas pourquoi le combat des femmes serait une exception à ça. Le débat sur le port du voile est abordé avec très peu de nuances, comme si cela n’était pas du tout complexe. C’est un combat à l’intersection de plein d’autres combats. On doit aborder cette question avec de l’Histoire, de la sociologie et moins d’états d’âme comme c’est fait chez nos voisins français où on aborde cette question avec des cris, des pleurs et, surtout, sans les concernées.

Comment vois-tu la relation avec les femmes blanches et les mouvements féministes blancs européens ? Vous sentez le besoin de vous organiser avec des femmes blanches ?

Nous avons commencé à collaborer avec des collectifs de femmes blanches qui sont nos alliées sur le combat pour le port de foulard. C’est, bien évidemment, possible de travailler avec des femmes blanches, on est obligé d’avoir des alliées dans la lutte. Mais c’est seulement possible si les personnes savent et comprennent quels sont leurs privilèges et quelles places elles occupent dans la société. On ne veut pas travailler avec des personnes qui nous disent : « sororité, sororité », mais qui au final ne comprennent pas quels sont nos problèmes, nos besoins et nos rôles dans la lutte. On ne veut pas travailler avec des personnes qui veulent juste avoir la « fame » ou bien qui veulent nous instrumentaliser. On a déjà eu le cas et maintenant on connaît un peu le truc. En tant que personne racisée, je suis magrébine, je sais que j’ai des privilèges par rapport aux femmes noires qui portent le foulard. On subit différentes oppressions, certaines plus que d’autres, parfois au milieu. À chaque fois, il faut bien comprendre quelle est notre place dans la société. On ne veut pas travailler avec des oppresseurs ni être oppresseurs nous-mêmes.

Le foulard fait polémique depuis déjà une vingtaine d’années. Avez-vous remarqué une évolution positive ou négative ? Comment voyez-vous les choses dans 10 ou 20 ans ?

Je pense que les choses ont évolué, plus de femmes portant le foulard prennent la parole. Avant, les femmes attendaient patiemment qu’on le leur donne la parole. Maintenant, elles ont en mare d’attendre et elles ont bien raison. Il y a plus de femmes qui parlent, et ça, c’est super. Plus on sera à parler, plus il y aura de bruit et la société sera obligée de nous voir. Il y a aussi plus d’alliés qu’avant et le problème n’est pas abordé de la même manière. Cela fait la différence. On aborde la question sous l’angle du choix et plus de personnes se sentent concernées par cette question. C’est bien. Dans 20 ou 30 ans, j’espère que l’on pourra travailler partout, qu’il y aura des femmes juges qui portent le foulard en Belgique, etc. La neutralité, qui est censée veiller à l’inclusivité de tout le monde, n’est jamais respectée. On parle plus d’une neutralité exclusive, cela n’a pas de sens. J’espère que la neutralité sera de plus en plus acceptée et surtout que des choses seront mises en place pour inclure toute la population et pas ceux qui rentrent bien dans le moule. 

ESPACEFIEVEZ.BE
SALLES DE RÉUNION POLYVALENTE EN LOCATION À BRUXELLES.

Besoin d’un espace pour organiser une formation, une réunion, une assemblée, une conférence, un apéro dînatoire… ?
Un site de l'Asbl JOC-JOCF. Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles