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Un bon mouvement c'est un mouvement dans lequel je peux danser !

En janvier dernier, nous avons coorganisé, avec Agir pour la Paix et L’IFOR, une conférence sur le mouvement Black Lives Matters. Nous avions invité le pasteur Osagyefou Sekou à venir parler aux Facultés de Saint-Louis. Malheureusement, pour des raisons de santé, il n’avait pu prendre l’avion. Il était toutefois intervenu via une vidéo-conférence (vive la technologie !).

Cet article a été initialement publié dans notre revue « Red’Action » numéro 24. Il ne comportait pas la mention indiquant que l’événement était coorganisé avec Agir pour la Paix et l’IFOR. Nous nous en excusons auprès des organisations concernées.
Mais qui est Osagyefou Sekou ? Il est l’un des animateurs du mouvement Black Lives Matters. Une des composantes importantes du mouvement de résistance au racisme, aux violences policières et à l’oppression, parti de Ferguson aux États-Unis, suite à l’assassinat d’un jeune noir par un garde de sécurité blanc parce qu’il portait un sweet à capuche…
La conférence fut introduite par Lucas Johnson de l’IFOR, qui rappela l’histoire du mouvement noir aux États-Unis, depuis la lutte pour les droits civiques de Martin Luther King et de milliers de gens qui ont construit ce mouvement jusqu’à la critique radicale et plus sociale de Malcolm X et du mouvement pour le Black Power (qui réfléchirent et construisirent concrètement des outils d’émancipation pour les noirs dans un monde de blancs (notamment en mettant ces derniers de côté, comme le dira Sekou dans les questions-réponses : “Mon message aux blancs sur leur place dans le mouvement antiraciste ? Show up and shut up ! (Pointez-vous et taisez-vous !) Laissez les noirs, les victimes du racisme, diriger leur mouvement et soutenez-le !”)).
Mais la surprise pour tous fut l’intervention du pasteur. Il a commencé par dire au traducteurs qu’il allait parler pendant dix minutes sans s’arrêter et qu’ils n’auraient qu’à résumer après (il a vérifié quand même que la majorité de l’auditoire – bien plein – comprenait l’anglais). Ça donne une idée. Mais ce qui a suivi était tellement riche politiquement, et en même temps rythmé et drôle, que je vais plutôt essayer de transcrire son discours le plus fidèlement possible, plutôt que d’essayer de le résumer.
Il a passé du temps à Paris durant les émeutes de 2005 suite à la mort de deux jeunes poursuivis par la police. Et une des choses que les jeunes gens dans la rue exigeaient lorsqu’on leur demandait ce qu’ils voulaient, c’était : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Le rêve de ces jeunes venus en Europe suite au colonialisme européen et aux facteurs historiques qui finiraient pas tirer les « corps colonisés » vers les pays colonisateurs (Belgique, France, Royaume-Uni…) pour faire un travail qui leur casserait le dos, … le rêve de ces jeunes gens donc, c’était d’avoir la meilleure des promesses des colons, comme nous ici, à Ferguson, nous exigeons le meilleur des promesses du rêve américain. L’enjeu, ce n’est pas simplement une intégration dans un système moralement en faillite, mais de s’appuyer et de puiser dans les mots que nos sociétés postcoloniales ont mis sur papier, et de les tenir responsables de ces mots… C’est de dire que si la Belgique va être la Belgique, que si la France va être la France, et que si l’Amérique doit être l’Amérique, alors les mots qu’ils ont mis dans leurs documents fondateurs les plus sacrés doivent être rendus vrais pour tous !
Et que lorsque nous parlons de Black Lives Matters (les “vies noires” ont de l’importance) nous ne parlons pas seulement des noirs mais nous parlons d’une construction historique de la « négritude » (blackness), de ceux qui vivent en dehors de la promesse des pays dans lesquels ils sont venus vivre. Quand nous disons “les vies noires comptent”, nous disons les vies brunes comptent. Quand nous disons que les noirs devraient pouvoir se promener en rue avec des capuches sans être contrôlés par la police, nous disons que les femmes musulmanes devraient pouvoir se promener en rue sans être harcelées !
Notre lutte est donc une lutte universelle car, depuis 2008 et l’effondrement à la fois de l’économie américaine et de l’élite globale, nous voyons ressurgir la résistance des places de Tahrir en Tunisie, en passant par la Cisjordanie. Ce sont les « autres peuples historiques » qui se lèvent un peu partout contre la tyrannie. Ils ont deux grands outils : l’occupation des places publiques et le rejet des dirigeants traditionnels. Que ce soit le rejet d’une Autorité Palestinienne corrompue ou le rejet des leaders noirs décrépis aux États-Unis. Partout la jeunesse résiste, en affirmant haut et fort : “Nous ne nous soumettrons pas !”
La tâche devant nous, pour le pasteur, c’est de réfléchir à comment mixer tout ça au niveau global, sans perdre le local. En transformant nos luttes en luttes mondiales, nous ne pouvons pas perdre le visage de la mère qui pleure ses enfants morts à Gaza ou aux États-Unis.
Nous devons créer un nouveau monde. Pour Osagyefou Sekou, ce monde doit associer le principe de la non-violence à une idéologie de gauche radicale. Car pour lui, la non-violence sans cette idéologie peut être aussi dangereuse que n’importe quelle armée impérialiste. Cette critique radicale de la société doit commencer par le rejet de toutes les formes de dominations (le pasteur parle d’hégémonies). Il ne peut y avoir de place pour l’homophobie, la transphobie, l’hétérosexisme, l’hétéropatriarcat, le racisme anti-arabes ou l’islamophobie.
À ce rejet des dominations on doit ajouter une critique fondamentale du capital. À partir de la crise du capital, nous devons amener une critique du capitalisme. Pour Osagyefou Sekou, cela signifie construire une critique qui reprend les meilleurs aspects du socialisme (dans son sens révolutionnaire, pas celui du PS) sans tomber dans les contradictions qu’on a vues dans le passé. Il parle d’un socialisme démocratique. Cela signifie soumettre les marchés sans démoniser l’individu et en honorant la culture. « Il nous faut un socialisme qui honore le jazz ». Beaucoup de pays dits socialistes ont interdit le jazz dans le passé, et beaucoup de tyrannies ont opprimé la musique noire.
Mais pour moi, nous dit le pasteur, « tout mouvement qui amène une critique du capital doit être un mouvement dans lequel je peux danser ! ». Ce mouvement doit laisser une place pour tous. C’est un mouvement qui doit être en accord avec les diverses façons dont les gens honorent leurs différentes cultures et sensibilités. Ce doit être un mouvement qui laisse de la place aux traditions de nos frères et soeurs laïques, mais dans lequel il y a aussi de la place pour les femmes portant le hijab ; un mouvement dans lequel il y a de la place pour un chrétien prophétique, comme le pasteur Sekou, qui honore un Jésus palestinien. Il y faut une place pour les laïques et leur critique de l’Amérique et une place pour une critique fondamentale de la religion.
Nous devons créer un monde nouveau « dans lequel mes yeux n’ont pas vu et mes oreilles pas entendu », qui permettra la contradiction entre le laïque et le religieux, un monde dans lequel tous auront un salaire juste leur permettant de vivre et où personne ne serait soumis à la violence arbitraire de l’État.
« Ce monde est déjà en marche ; il est en marche à Ferguson, dans les banlieues de Paris depuis 2005, à Tottenham et dans les banlieues de Londres depuis 2011. Regardez-vous ! Vous êtes les leaders que nous attendions. Vous devez vous convaincre que nous avons déjà gagné. Nos ennemis le savent déjà ; c’est pour ça qu’ils avancent avec des chars, c’est pour ça qu’ils nous ont imposé Oslo, c’est pour ça qu’ils critiquent les leaders des mouvements de jeunes partout dans le monde. Nous avons déjà gagné et ils le savent. La question devant nous est : est-ce que nous y croyons ? Moi, j’y crois ! Si vous croyez, alors nous avons déjà gagné ! »
Après ce discours – un vrai prêche en fait, plein d’énergie et d’idées (parfois un peu compliquées mais c’est ça qui nous oblige à chercher et réfléchir) -, il a passé près de deux heures à discuter avec la salle, à répondre aux interpellations des militants sur la question de la non-violence, de la lutte antiraciste, des enjeux politiques en Europe, aux États-Unis et ailleurs. C’était passionnant, et tous étaient frustrés que ce fût déjà fini, après quasi trois heures de conférence !
On espère bien le faire venir en chair et en os très bientôt !

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